Retour sur l’atelier « Classification des écosystèmes forestiers et sylvestres et évaluation de leur dégradation dans le cadre de la limitation de la déforestation importée »
Les résultats du chantier sur classification des forêts conduit par le consortium CIRAD/CIFOR/CNRS/ECOFOR ont été présentés lors d'un atelier international le 23 octobre dernier
Comment évaluer la dégradation des forêts et autres terres boisées et quelles implications pour limiter la déforestation importée ?
Le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) vise à réduire l’impact de notre consommation de produits agricoles et forestiers sur l’état des forêts à l’échelle mondiale. Le règlement se focalise pour l’instant sur les forêts, au sens de la FAO, et inclut la dégradation forestière définie comme des modifications structurelles apportées au couvert forestier, prenant la forme de la conversion de forêts primaires en d’autres faciès forestiers. De nombreuses discussions ont cependant eu lieu pour élargir le périmètre du règlement à d’autres écosystèmes naturels que les forêts, notamment les savanes. De plus, la dégradation forestière reste un concept multiforme, difficile à appréhender scientifiquement. En anticipant la révision du RDUE qui sera tôt ou tard à l’ordre du jour, il est donc pertinent de s’interroger sur la classification des écosystèmes naturels, depuis les forêts denses tropicales humides jusqu’aux milieux ouverts de savanes, et sur la caractérisation de la dégradation de ces écosystèmes.
C’est dans cette optique et dans le cadre d’un chantier du CST-Forêt piloté par le CIRAD qu’a été organisé le 23 octobre dernier un atelier international s’inscrivant dans la conférence EURAGRI, auquel ont pris part plus de 70 participants. La direction générale de l’environnement de la Commission européenne, en la personne d’Antoine Haouchine, a rappelé en introduction que le RDUE avait une approche progressive, avec un périmètre appelé à évoluer selon des mises à jour régulières. Le suivi de la déforestation et de la dégradation est au cœur du dispositif, avec notamment l’observatoire européen mis en place par le Centre commun de recherche de l’Union européenne. Cependant, ce suivi soulève des questions complexes à adresser à la science.
La déforestation est d’abord une question de changement d’usage des sols (land use) tandis que les méthodes de télédétection permettant aujourd’hui de suivre la déforestation à large échelle s’appuient sur des changements décelés de couvert arboré (land cover). Comme l’a rappelé Rémi d’Annunzio, de la FAO, dans sa présentation, c’est ce décalage entre land use et land cover qui rend le suivi de la déforestation et de la dégradation forestière particulièrement ardu, même si la FAO développe des méthodes s’appuyant sur la convergence de preuves entre différentes couches d’information qui permettent d’entrevoir des réponses à l’échelle de la parcelle.
Dans le cadre du chantier du CST-Forêt, le CIRAD et ses partenaires ont développé une méthode originale pour caractériser la dégradation forestière, ce qui a fait l’objet de la présentation de Camila Rezende. En référence à des nomenclatures internationales telles que celle de l’UICN, les écosystèmes naturels sont d’abord classés en catégories, et des zones de référence où les écosystèmes non perturbés sont identifiées. Ces états de référence sont ensuite utilisés pour calibrer un modèle qui prédit ce que serait potentiellement l’état des écosystèmes en tout lieu si ces écosystèmes n’étaient pas perturbés. La différence entre l’état potentiel des écosystèmes et leur état actuel définit leur dégradation. Cette méthode a été testée avec succès au Brésil.
D’autres systèmes permettent d’ores et déjà de suivre le couvert arboré à l’échelle mondiale, dont l’un des plus connus est le Global Forest Watch dans lequel le World Resources Institute (WRI) est fortement investi. Sarah Carter, du WRI, a démontré comment cet outil pouvait très utilement être mis à profit pour la mise en œuvre d’un règlement comme le RDUE. Grâce aux derniers développements, le suivi en temps quasi-réel des écosystèmes forestiers est à présent à portée de main.
La dégradation forestière renvoie aux milieux ouverts comme des états dégradés d’un état optimal qui est l’état forestier. Par un renversement des perspectives, Kate Parr, de l’université des Liverpool a rappelé pourtant que les milieux ouverts, de la forêt claire aux prairies en passant par les savanes, sont des écosystèmes naturels à part entière distincts des forêts dégradées. Pour ces écosystèmes et la biodiversité spécifique qui leur est attachée, la fermeture du couvert arboré peut être synonyme de dégradation. Un paradoxe du point de vue du forestier qui souligne, s’il en était encore besoin, la complexité à caractériser la dégradation forestière.
Le débat qui a suivi les présentations pendant près d’une heure a souligné l’intérêt et les nombreuses interrogations que suscitent le RDUE et les nouvelles approches développées par les scientifiques pour faire face à l’enjeu de la déforestation importée. Pour ne mentionner ici qu’un seul point des discussions, la part des solutions techniques pour suivre la déforestation et la dégradation forestière ne sera complète que si ces solutions techniques s’accompagnent de discussions avec les acteurs de terrain dans les pays producteurs concernés par la déforestation, pour leur faire toucher du doigt l’importance de la planification de l’usage du sol. C’est sur la base de tels efforts seulement que pourront être réconciliés le land use change et le land cover change.
L’atelier peut être revisionné à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=CDH8Fu5ZvdI